[RECHERCHE] Frank Crispino : "Vers un autre paradigme pour la science forensique ?"
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En ce mois d'août, le professeur Frank CRISPINO - également Directeur du Laboratoire de recherche en criminalistique et chercheur au Centre international de criminologie comparée - partage avec nous ses questionnements et son programme de recherche. De manière générale, il résume sa question de recherche à : "Qu'est-ce que la preuve ?"
Avec vous, il s'interroge sur divers points : capacité de l’algébrisation des signes de Marty, sémiose de la trace à la preuve, possible capacité de l’IA à modéliser les résultats... De par ses publications et séminaires, il invite à la réflexion sur le sujet, proposant aux chercheurs intéressés de participer à des ateliers brainstorming.
Résumé : Vers un autre paradigme pour la science forensique ? Les conclusions de Daubert ont faussé ses contributions à la science forensique car il n'a pris en compte que la dimension galiléenne (construction de modèles prédictifs généraux). Cependant, la science forensique devrait plutôt être classée dans les sciences historiques (approche clinique pour reconstituer un événement passé de présence ou d'activité). Nous avons donc besoin d'une approche complémentaire qui intègre la partie nécessairement « clinique » dans la résolution des problèmes forensiques. Une telle évolution passe par la sémiotique. Tout en reconnaissant que le mode de pensée bayésien est le seul modèle prescriptif disponible pour l'interprétation s'adaptant bien au paradigme galiléen, la complexité de la reconstruction d'un cas singulier passé non contrôlé et la robustesse des données pertinentes disponibles, invite à considérer sa mise en œuvre dans une ligne d'arguments sémiotiques. En effet, si Bayes permet de rester dans un modèle unique harmonisé intégrant à la fois les dimensions clinique et galiléenne, rapidement la complexité de la modélisation et sa mathématisation se heurtent à des raisonnements naturels et juridiques plus qualitatifs. Deux systèmes de raisonnement différents en jeu créent inévitablement un « bug » qui pourrait expliquer la crise forensique actuelle et les erreurs judiciaires. Cette anomalie renvoie à la question de la transparence (incompréhension par et entre les interlocuteurs sur la nature de l'expertise, voire de la science). Peirce propose une voie pour aborder la tension entre des systèmes de raisonnement complémentaires.
Abstract : Towards another paradigm for forensic science ? Daubert skews the contribution of forensic science because it only took into account its Galilean dimension (construction of general predictive models). However, forensic science should better be classified in the historical sciences (clinical approach to reconstruct a past event of presence or activity). We therefore need a complementary approach that integrates the necessarily “clinical” part in the resolution of forensic issues. Such an evolution involves semiotics. While recognizing that the Bayesian way of thinking is the only prescriptive available model for interpretation fitting well in the Galilean paradigm, the complexity of the reconstruction of a past-uncontrolled singular case and the robustness of available relevant data to it, invites consideration of its implementation in a semiotic line of arguments. Indeed, Bayes makes it possible to remain in a single harmonized model integrating both the clinical and Galilean dimensions, but rapidly the complexity of the modeling and its mathematization come up against more qualitative natural and legal reasoning. Two different systems of reasoning at stake are inevitably creating a “bug” that could explain the current forensic crisis and miscarriages of justice. This anomaly is reflected in the issue of transparency (misunderstandings by and between interlocutors on the nature of the expertise, if not science). Peirce offers a path to address the tension between complementary reasoning systems.